L’éxilé, un nouveau-né

Touareg:GratuiteAutrefois, quand main dans la main, regardant la mer, on se sentait posséder la terre entière. Quand les arbres dansaient au soir alors qu’on prenait le thé et que rien ne tremblait, c’était la paix. On écoutait le vent chuchoter les histoires des voisines derrière les rideaux et les prières sincères des gens de cœur. Il amenait des contes colorés, ce vent léger, pour déverser les sentiments des voyageurs qui se préparaient à partir. Chercheurs d’or, naufragés du cœur, rescapés, chercheurs de paix.

Dans l’interminable ennui de la plaine, la neige incertaine luit comme du sable, disait Verlaine. Ces mots raisonnaient, il fallait en savoir plus, on voyait venir la terre blanche comme une promesse qu’on exigeait. Et il était là, constamment présent, comme une obsession, cet homme du désert, établi au Québec. Résident des salles de concert où on peut l’écouter chanter comme dans un désert parfait.

Je l’avais aperçu à Paris, bleu, attirant tous les regards, et puis je l’ai imaginé se promener fièrement dans les rues de Montréal. Malgré le froid, il ne hâtait pas le pas. J’ai suivi ses traces dans les rues blanches, je le cherche encore quand la neige tombe.

« Il me faut à l’occasion comparer les tempêtes de neige aux tempêtes de sable et mélanger les deux comme on mélange des couleurs pour peindre à l’huile tiède », me dit-il une fois, cet exilé qui reste là, comme un dédoublement de soi.

L’exil est une expérience des plus singulières, un deuil, une perte qu’on ne peut cesser de penser pour ne pas oublier une partie de soi. « C’est souvent la nuit et dans les songes étranges que l’exil se raconte », dit-il en regardant au loin. L’exil est un état, l’exil c’est parfois État. On le rejette, on y habite, on y existe, on le nie, et après tout, on l’accepte. Souvent, on le dit pour que le brouillard se dissipe. Alors, la paix sensible, la paix du citoyen du monde devient possible.

Certains en parlent comme d’une identité, cette identité de l’exilé. J’ai même vu dire que c’était un métier que de raconter une histoire à jamais, cette histoire de l’exilé. « Moi, je chante depuis toujours la liberté », il m’a semblé l’entendre plus d’une fois me confier.

L’amour de la terre qui a vu naître et la nostalgie d’autrefois, c’est comme une couverture, une peau colorée, une peau tragique et splendide à la fois, une peau d’ici et d’ailleurs. La peau de l’exilé est belle comme une nuit étoilée.

Comme un bouleversement, quelque chose se remet en question à l’occasion, et comme un contre-temps, dissonant, quand la vie est devenue habitudes, c’est naufrage.

La nature décide, c’est mouvement, le manque surgit à la surface, la tempête du solitaire sifflote une tristesse singulière et le sol se dérobe sous les pieds de celui qui n’a cessé d’arriver quelque part. Sa tempête est comme un chant avec pour refrain ce qui aurait dû être et qui n’a pas été, ce qui a pu être et qui n’a plus été. L’histoire de l’exilé s’expose comme une oeuvre à sans fin analyser. Sa douleur prend forme, forme d’existence, quand les mots se déversent pour mener vers la délivrance et comme alors une nouvelle naissance.

On peut naître et renaître à jamais.

Il y a le souvenir, les parfums, les chants de tous les moments, il y a les empreintes des caresses, ces lointains rires, les bonheurs innocents. Il y a la marque de la fratrie d’antan, les rêves des enfants des fêtes et ceux des enfants de la rue. Il y a ces histoires ancestrales inscrites dans les gênes et l’amour comme un hymne qu’on chante au lever du soleil.

Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
 Je partirai, disait Victor Hugo.
Vois-tu, je sais que tu m’attends.

J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
 Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
 Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
 Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
 Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur, Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe,
 Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

Et comme une femme aimée, une terre rouge, brûlante au fond des entrailles, est une mère pour l’exilé.

Alors que la foule est là, « je reste face à moi-même », se dit l’exilé, et je me demande si tout va bien dans ma tête qui s’embrume. Je me demande si je suis plus fort que la tempête.

Alors que la foule est là, « je l’affronte », raconte l’exilé, «car je fais partie du tout, je suis beau, je suis important, je suis aimé, je tiens mon pouvoir politique et économique entre les mains. Je tiens ma personne droite, la tête haute. Je suis un nouveau-né à chaque matin». 

«Je suis un exilé, mais je suis un nouveau-né, car ici et ailleurs, je me suis trouvé». 

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