La domestique désignée

Rafraichie

C’est avec fierté qu’elle disait : «Moi, je n’ai pas besoin de travailler, je pourrais passer ma vie à voyager». Et c’est avec fierté qu’il ajoutait : «Ma spécialité c’est de vider les poches des gens». «Quel couple harmonieux!», en avais-je conclu. Elle insistait : «Moi, je suis la créative, créatrice, et lui, c’est le budget». 

Un peu plus tard, elle s’en allait se baigner dans un endroit enchanté, on pouvait voir le bout de son maillot de bain pointer en dessous de sa robe et ses seins rembourrés très fiers dans le bonnet. Il était du même rose que ses faux ongles et son rouge à lèvres.

– Comme c’est aujourd’hui, vu le programme mon chéri, je ne vais pas pouvoir travailler.

 – Oui, oui, je sais. Avait-il répondu.

Travailler, c’est relatif d’une personne à une autre. Pour elle, il s’agissait de partager ses états d’âme et de donner des ordres pour incarner un personnage de haute autorité, en plus d’espionner une cible enviée et de tenter de se valoriser par de micro agressions inutiles.

C’est que, d’après ce qu’elle disait, elle descendait d’une sorte de royauté, alors elle méritait d’être choyée par la vie, mais elle avait plutôt besoin de soigner son comportement vis-à-vis des gens, car son narcissisme faisait de gros dégâts.

Pour certains, plus on a de confort matériel, même si c’est en étant entretenu et en vampirisant, plus on ressent que l’on y a absolument droit et que le ciel nous a choisis pour notre particulière énergie.

Enfin, il ne faut pas généraliser, mais l’ego prend parfois le dessus et l’on perd la mesure des choses à force de nager dans le confort et la dépense facile, à moins d’avoir une empathie émotionnelle fonctionnelle et certaines valeurs humaines de base pour vivre avec sérénité le vertige de l’abondance. 

Je n’ai pas perdu trop de mon temps avec sa crise, je me suis sortie assez rapidement de son étrange scénario de flagellation de l’intelligence et de la beauté. Dissociée, j’avais tout de même passé quelques heures à sa comédie noire de dévalorisation de la personne que j’étais. Elle m’avait repérée sur le net et scrutait mon travail et mes mouvements pour parasiter, moquer et s’imaginer gagner sur la vie en s’imprégnant de mon identité qu’elle voulait en même temps annihiler.

Elle avait apparemment décidé de me descendre psychologiquement pour facilement réussir à presser le citron afin de se remonter l’estime de soi et le budget en agressant une pure étrangère qu’elle imaginait comme une adversaire. Elle voulait mon essence et ma peau, je devais disparaître tout en continuant à discrètement exister sous son contrôle. Elle avait de grandes visées pas mal déconnectées de la réalité. 

Elle avait beau avoir le portefeuille de son conjoint à disposition pour aller à New York assez souvent, il lui manquait la fierté d’avoir accompli quelque chose de mémorable pour l’humanité et c’était le moment d’y remédier, comme elle expliquait en parlant sans arrêt, à en perdre haleine et à causer la migraine.

Contrairement à elle, je n’avais pas de partenaire de vie banquier ni le besoin d’une doublure qui produise à ma place. J’avais toujours compté sur moi-même pour me réaliser. Ma fierté ne ressemblait pas à la sienne qui sentait la haine.

Elle avait à tort, du haut de son ego démesuré, cru voir en moi une victime de choix, une esclave délaissée par le destin et prête à baisser la tête devant une caricature qui s’autoproclamait maîtresse, contre un salaire de misère. Madame voulait me transformer en bonne à tout faire, à écrire dans l’ombre pour ses honneurs. J’étais donc sur terre pour soigner ses manques et fortifier sa gloire de foire.

Perdue dans son mélodrame de femme entretenue qui n’avait qu’à réclamer pour recevoir, elle avait oublié que si je savais écrire, c’était bien parce que je me posais des questions. Il ne lui avait aucunement traversé l’esprit qu’elle ne pouvait m’impressionner avec ses airs pompeux de femme gâtée par un monsieur ordinaire qui faisait de petites affaires.  

Ainsi, les indices ont fait avorter ses plans en quelques instants. Son pouvoir théâtralisé paraissait plutôt pâle, je lui avais rafraîchi l’esprit avec un non auquel elle ne s’attendait nullement. C’était le choc du réel, c’était sa bulle qui se trouait, je n’étais pas une proie ´ dédiée, elle avait trop fantasmé. 

Après avoir hurlé comme une endiablée, elle avait ajouté alors que je m’en allais et que son conjoint feignait de s’excuser :  « Comment oses-tu parler à mon conjoint? ». Elle m’accusait donc, avec toute sa violence, de vouloir la doubler sur son propre territoire. Je n’avais dit mot à son pantin, je n’étais absolument pas intéressée par le budget de madame.

En quinze minutes, sa terre avait tremblé, la laideur s’était montrée, ce n’était plus le film wanna be Oprah, c’était la cruauté qui giclait avec indécence, intensément, à la folie, passionnément. C’était sordide et morbide. 

Poursuivie par un torent d’insultes, j’ai descendu l’escalier vers la sortie, sans m’énerver. Un peu comme une femme abusée choisissant l’évasion, j’étais en proie à la désolation. J’avais d’autant plus peur de recevoir un coup sur la tête puisqu’elle me suivait de très près et qu’elle semblait dangereusement troublée, mais je suis rapide à déceler les mouvements. J’ai appris à l’école de la vie à prévenir les coups, ce n’était pas la première fois que la domestique désignée se faisait ainsi bousculer par une affamée de succès. 

Après tout, on apprend des gens que l’on rencontre. On s’étonne du culot des marchands de rêves et des narcissiques enlaidis par l’envie et on avance dans une autre direction pour ne surtout pas recroiser ces royautés. 

Ce que j’ai appris de cette ténébreuse rencontre? Absolument rien, ce n’était qu’une autre invitation à un cirque éphémère à laquelle j’avais malheureusement répondu.